Les traits un peu pâle, les yeux fermés rehaussés par de fins sourcils, le premier visage en cire est celui d’une femme qui semble dormir. Un visage presque parfait à l’exception d’un chancre brunâtre de la taille d’une noix qui lui mange sa joue et sa narine droite. La malheureuse souffre d’une gomme ulcérée syphilitique, un symptôme apparaissant à un stade très avancé de cette maladie bactérienne vénérienne.

Cire dermatologique
Gomme ulcérée syphilitique
Bois, cire, Jules Baretta, Paris, seconde moitié du 19e siècle
Collection du MHS
Photographie : Gilles Hernot, MHS

A la fin du 19e siècle, lorsque la syphilis ne se soignait par encore, cette femme a en quelque sorte donné son visage à la science en le confiant aux soins d’un célèbre modeleur de l’époque, Jules Baretta (1833-1923) qui travaillait à l’Hôpital Saint-Louis de Paris comme céroplaste et conservateur de la collection de cires dermatologiques.

Jules Baretta dans son atelier
Huile sur carton. Eugène Dufour
Musée des moulages, Hôpital Saint-Louis, Paris

L’hôpital parisien était un haut-lieu de la dermatologie européen de l’époque. Sa collection de moulages dermatologiques, essentiellement vénériennes, comprenait plusieurs milliers de pièces destinées à la formation et à l’enseignement. Certaines d’entre elles ont été vendues à travers toute l’Europe à de nombreux hôpitaux, comme l’Institut de dermatologie de l’Hôpital de Genève, d’où proviennent les pièces aujourd’hui conservées au Musée d’histoire des sciences.

La séance de modelage consistait à enduire de plâtre le visage du patient. Pour éviter un contact direct douloureux avec la peau ou avec la lésion, celles-ci étaient protégées par un linge humide ou une peau de baudruche. Une fois le moule en plâtre durci, le modeleur l’enlevait, le retournait, huilait le fond et le remplissait de plusieurs couches de cire d’abeille chaude. Après avoir retiré le plâtre, Baretta procédait aux finitions. Il ajoutait des pigments pour colorer la peau à la bonne teinte, il insérait des cheveux, des cils et des poils ainsi que des bulles en verre soufflées en guise de bubons pour donner au visage l’aspect le plus réaliste possible. Parfois, il modelait et sculptait l’excroissance de cire lorsque les chancres et autres carcinomes présentent une forme trop complexe à reproduire par moulage.

Cire dermatologique
Glossite scléro-gommeuse
Bois, cire, Jules Baretta, Paris, seconde moitié du 19e siècle
Collection du MHS
Photographie : Gilles Hernot, MHS

Le second visage, moustachu aux cheveux noirs mi-longs, les yeux mi-clos est celui d’un homme dont le corps musclé est représenté dans son intégralité. Cheveux noirs mi-longs, moustache bien taillée, les yeux mi-clos, la figure évoque les héros romantiques du 19e siècle. Une fois, il est étendu à plat ventre, un bras recourbé dans une posture très alanguie. La seconde fois, il est couché sur le dos, les bras allongés, une bûche en guise d’oreiller.

Etude anatomique de l’homme
Bois, fer, staff, Jules Talrich, Paris, vers 1866
Collection du MHN
Photographie : Philippe Wagneur / MHN
Etude anatomique de l’homme
Bois, fer, staff, Jules Talrich, Paris, vers 1866
Collection du MHN
Photographie : Philippe Wagneur / MHN

Dans les deux représentations, la moitié du visage et du corps sont écorchés : la peau a été enlevée pour laisser apparaître les faisceaux musculaires de la jambe, du torse, du bras et de la tête. Ces deux modèles d’écorchés font partie d’une série de quatre intitulée étude anatomique de l’homme réalisée par le modeleur, anatomiste et céroplaste parisien Jules Talrich (1826-1904) durant la seconde moitié du 19e siècle. Les deux autres pièces, également scindées en deux parties longitudinales, décrivent le même corps à différentes profondeurs et des muscles dégagés correspondant aux étapes successives de la dissection.

Etude anatomique de l’homme
Bois, fer, staff, Jules Talrich, Paris, vers 1866
Collection du MHN
Photographie : Philippe Wagneur / MHN
Etude anatomique de l’homme
Bois, fer, staff, Jules Talrich, Paris, vers 1866
Collection du MHN
Photographie : Philippe Wagneur / MHN

Réalisée en staff, un matériau très résistant à base de plâtre et de fibres végétales, les quatre modèles représentent le même homme à demi écorché de dos et de face et deux fois totalement écorché de dos et de face. Réputés pour leur qualité et leur solidité, les écorchés de Jules Talrich ont gagné de nombreux prix et ont été vendus à plusieurs centaines d’exemplaires à travers le monde, principalement à des facultés de médecine ou à des instituts de Beaux-Arts. On ignore pour l’heure comment ces quatre écorchés ont rejoint les collections du Muséum d’histoire naturelle.

Il semblerait que ces quatre écorchés soient des autoportraits de Jules Talrich lui-même moustachu et chevelu. Ego démesuré ou sens profond de l’autodérision, difficile de comprendre la portée d’un tel geste artistique….

Etude anatomique de l’homme
Bois, fer, staff, Jules Talrich, Paris, vers 1866
Collection du MHN
Photographie : Philippe Wagneur / MHN

Moulages dermatologiques ou écorchés sont à découvrir à la Villa Bartholoni, parmi d’autres modèles anatomiques issus des collections du Musée d’histoire des sciences et de l’Unité d’anatomie de l’Université de Genève, dans l’exposition « Anatomie » jusqu’au 7 avril 2026.