Parmi les curiosités qui composent le cabinet Pictet figure un lot d’instruments de démonstration dont la facture et l’apparence rappellent fortement ceux construits au 18e siècle par le célèbre constructeur parisien Jean-Antoine Nollet (1700-1770), considéré aussi comme un des pionniers de la physique expérimentale de démonstration.
Bien que non signés, ces instruments (appareil de Pascal, pompe à feu, hémisphères de Magdebourg et un pistolet de Volta) se retrouvent dessinés dans les planches qui ornent les Leçons de physique expérimentale, un des ouvrages phares de Nollet qui décrit dans le détail le contenu de ses leçons de physique et les instruments utilisés pour ses démonstrations.

MHS 149

On ignore aujourd’hui comment Pictet a acquis ces objets plutôt démodés dans son cabinet qui était plutôt constitué d’instruments modernes. Il aurait pu en hériter de Jean Jalabert (1712-1768), physicien genevois et professeur de physique expérimentale à l’Académie de Genève entre 1737 et 1744, qui a entretenu des liens étroits avec Nollet tout au long de sa carrière.

Un manuel pratique de construction du 18e siècle

A la fin de sa carrière, Nollet publie un ouvrage en trois volumes intitulé L’art des expériences qui est un véritable manuel pratique de construction d’instruments de physique. Nollet décrit dans le détail les matériaux (bois, métal), la composition des vernis et des peintures ainsi que les motifs de décoration à appliquer sur les instruments.

Dans sa préface, Nollet explique au lecteur qu’« on peut suivre avec confiance tout ce que j’enseigne dans cet ouvrage ; il n’y a rien que je n’aie pratiqué moi-même, ou vu pratiquer par d’habiles ouvriers que j’ai entretenus pendant plus de vingt-cinq ans dans mes laboratoires… ».

La lecture de ce remarquable ouvrage a été à l’origine d’un projet original encore jamais mené jusqu’ici dans les collections du Musée, qui a consisté à entreprendre une analyse archéométrique de ces objets au moyen de techniques modernes (voir encadré) utilisées aujourd’hui pour l’expertise scientifique des œuvres d’art, afin de voir si les matériaux et les composants utilisés dans les peintures et les vernis coïncident avec les indications figurant dans L’art des expériences.

Démarrée en 2012, la première étape de ce projet a été réalisée en collaboration avec le laboratoire d’analyse des Musées d’art et d’histoire qui disposait des appareils et des scientifiques compétents. D’autres analyses plus approfondies ont été menées en 2018 et 2019 par la société Geneva Fine Art Analysis (GFAAA) sur les deux instruments les plus imposants du lot : l’appareil de Pascal (MHS 568) et la pompe à feu (MHS 77).

Appareil de Pascal (MHS 568)
Pompe à feu (MHS 77)

L’examen visuel révèle que les bois constituant le bâti de l’appareil de Pascal (MHS 568) et de la pompe à feu (MHS 77) sont du tilleul, du peuplier et du hêtre qui selon Nollet sont « des bois communs que l’on utilise pour fabriquer des instruments de grand volume « parce qu’ils ne sont pas d’un haut prix et qu’ils se coupent facilement ».

Les analyses du verre du vase de l’appareil de Pascal et de la cuve de la pompe à feu montrent une fluorescence verte identique en éclairage ultra-violet, résultant probablement de la présence d’oxyde de manganèse dans le verre. Ce composé chimique est utilisé depuis l’Antiquité par les artisans pour décolorer le verre et le rendre plus transparent.

Les analyses par spectrométrie de fluorescence X (FRX) ont permis de mieux caractériser les pigments inorganiques des peintures et des dorures. La peinture rouge que l’on retrouve sur les deux bâtis contient du mercure et du soufre, ce qui indique la présence de sulfure de mercure, le pigment traditionnel composant le vermillon, une peinture rouge-orange fabriquée depuis le haut Moyen-Age et très courante au temps de Nollet.

Quant à la peinture noire, l’absence de phosphore indiquerait, selon les scientifiques du GFAA, qu’il ne s’agit pas d’une peinture à base d’os, mais plutôt à base de carbone minéral, un pigment souvent utilisé dans les peintures et laques noires.

Des dorures qui ne sont pas en or

L’étude FRX des dorures s’est révélée très intéressante. La dorure jaune n’est pas faite à la feuille d’or comme son aspect le laisserait croire. Elle a été réalisée à partir de laiton battu en feuille. Aussi appelé or d’Allemagne, ce procédé est très bien décrit par Nollet : «… Cette espèce de dorure est suffisante pour les ouvrages communs, elle coûte peu, et elle est bien plus facile à manier que l’or fin dont se servent les doreurs sur bois… ».

Quant à la dorure blanche, elle semble constituée essentiellement d’étain et de soufre, deux éléments qui entrent dans la fabrication de l’or mussif (sulfure stannique SnS2), un pigment utilisé pour imiter les éclats dorés, connu depuis l’Antiquité, mais qui, étonnamment, n’est pas mentionné dans l’ouvrage de Nollet.

Enfin, l’analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MC) d’un minuscule prélèvement de peinture noire et de vernis, réalisée sur la base de la boule du support du balancier de l’appareil de Pascal, a permis d’identifier une peinture à l’huile ainsi qu’une laque à base de résine sandaraque (extrait du cyprès de l’Atlas) et de mastic (résine naturelle tirée du pistachier). Ce type de vernis brillant, très bien décrit par Nollet, était souvent utilisé autrefois sur le mobilier en imitation de la laque orientale.

Ces analyses archéométriques ont débouché sur quelques surprises désagréables, en particulier sur la pompe à feu qui semble avoir subi plusieurs restaurations au cours du temps. Les observations au microscope stéréoscopique montrent que des baguettes en bois repeintes en noir ont été rajoutées autour de la plaque de base supportant la chaudière. La peinture rouge actuellement visible est le résultat d’un « repeint peu soigné, vraisemblablement sans démontage de l’appareil» selon les scientifiques de GFAA. Le rouge a été appliqué de manière très grossière sur une ancienne couche de fond noir. Le vernis appliqué sur le bâti semble aussi très récent, comme le montre l’éclairage par ultra-violet.

Bibliographie

– GFAA, Etude technologique N° R201811265. 2018
– GFAA, Etude technologique N° R201811266. 2018
– MAH, Rapport de synthèse / 2017
– Nollet, L’art des expériences, Paris, 1770 (Bibliothèque du Musée d’histoire des sciences)
– Nollet, Leçons de physique expérimentale, Paris, 1753 (Bibliothèque du Musée d’histoire des sciences)