La renaissance du microscope composé
Après des débuts prometteurs au 17e siècle, l’industrie du microscope se retrouve en plein marasme au début du 19e siècle. Malgré de multiples perfectionnements techniques (mouvement lent et rapide obtenu par pignon et crémaillère ou vis de rappel, inclinaison du tube optique, ergonomie, etc), les microscopes composés continuent d’offrir de faibles performances optiques. Rien ne sert de grossir davantage des images si celles-ci-demeurent floues et irisées à cause des phénomènes d’aberrations sphériques et chromatiques causées par les lentilles des objectifs. En comparaison, une simple loupe offre des performances optiques souvent bien meilleures !
Chez les constructeurs de lunettes astronomiques, le problème de l’achromatisme est réglé depuis près de cinquante ans suite aux travaux des opticiens anglais Chester More (1703-1771) et John Dollond (1706-1761) et du mathématicien suisse Léonard Euler (1707-1783). Pour neutraliser les aberrations chromatiques, les lentilles sont composées de deux verres différents. L’un en verre de vitre ou de table, dit crown, qui disperse faiblement la lumière et l’autre en flint, riche en oxyde de plomb, utilisé en cristallerie, à fort pouvoir dispersant.
Lorsque la lumière blanche traverse une lentille en verre, elle est décomposée en plusieurs bandes de couleurs qui ne se réunissent pas en un point convergeant de l’autre côté de la lentille. Il en résulte une image floue et colorée sur les bords. En combinant deux lentilles en crown et en flint, on forme un objectif achromatique dans lequel les aberrations chromatiques de chaque lentille se compensent et s’annulent….
En microscopie, la recette est plus difficile à appliquer, essentiellement à cause de la petite taille des lentilles et de leur faible distance focale. Au début du 19e siècle, les perspectives sont tellement décourageantes que certains fabricants tel que l’ingénieur et physicien italien Giovanni Amici (1786-1863) se lancent dans la construction de microscopes catadioptriques équipés de miroirs à la place des objectifs selon le principe de fonctionnement d’un télescope. L’essai n’est guère concluant.

MHS 377
Laiton, verre, Amici, Modène, 1822
L’objectif est composé d’un miroir concave ellipsoïdal qui reçoit l’image d’un miroir en plan incliné à 45° sur son axe.
Photographie : Gilles Hernot, MHN
En 1824, le mécanicien et opticien français Alexandre Gilles (1784-1845) connu sous le pseudonyme de Selligue, présente à l’Académie des sciences de Paris un microscope composé dont l’objectif est composé de trois minuscules lentilles plan-convexes achromatisées. L’instrument reçoit un accueil mitigé : l’achromatisme est bon mais les aberrations sphériques (à cause de la courbure de la lentille, les rayons lumineux se focalisent à différents endroits selon qu’ils traversent à l’axe ou en bordure de la lentille) demeurent importante. Cette réalisation a le mérite de relancer la recherche sur l’achromatisme. Et Amici en sera un acteur majeur….

MHS 655
Laiton, verre, Chevalier, Selligue, Paris, vers 1824
Microscope muni d’un objectif achromatique similaire à celui que Selligue présente en 1824 à l’Académie des sciences de Paris.
Photographie : MHN
En 1827, le physicien de Modène met au point un « microscope dioptrique achromatique horizontal ». L’instrument détonne par la disposition horizontale de son tube optique et son prisme de renvoi destiné à améliorer le confort ergonomique de l’utilisateur. L’objectif est composé de trois lentilles achromatiques superposées.
A Paris, Amici est en relation avec Charles Chevalier (1804-1859), fils de Vincent, tous deux opticiens réputés. Les deux ont collaboré avec Alexandre Gilles à la mise au point de son microscope. Une collaboration qui s’est mal terminée : Gilles ne les a même pas mentionnés ou remerciés lors de la présentation de son microscope à l’Académie… Charles Chevalier perfectionne les lentilles achromatiques d’Amici en réduisant encore leur diamètre et en diminuant leur foyer. Chaque lentille est composée d’un verre bi-convexe en crown collé à un verre plan-convexe en flint.
En 1833, il construit pour le Collège de France un « microscope universel », marquant l’aboutissement de ses travaux et qui sera pendant longtemps considéré comme le meilleur microscope de son époque. L’objectif achromatique est composé de trois lentilles superposées. Mesurant environ 4,5 mm de diamètre et 1 mm d’épaisseur, chacune d’elles comprend un verre bi-convexe en crown (A) et un verre plan-concave en flint (B).

Des microscopes et de leur usage, Paris 1839
Bibliothèque du MHS

Photographie : Gilles Hernot, MHN
La configuration de base du microscope est horizontale pour favoriser le confort de l’utilisateur selon Chevalier. La disposition horizontale est aussi requise pour l’équipement de certains accessoires comme les chambres claires ou bien l’observation de réactions chimiques au microscope. Si nécessaire, le microscope peut aisément devenir vertical. Il suffit d’enlever le tube contenant le prisme réflecteur et de le remplacer par un objectif, puis d’imprimer un mouvement rotatif au tube optique.
La mise au point rapide se fait au moyen d’un couple pignon-crémaillère et le réglage fin par une vis micrométrique agissant sur la hauteur de la platine. Celle-ci est équipée de deux mouvements micrométriques latéraux.

Des microscopes et de leur usage, Paris 1839
Bibliothèque du MHS
Ce microscope dont un exemplaire est conservé dans les collections du Musée d’histoire des sciences, témoigne aussi du renouveau de l’industrie française des instruments scientifiques survenant au cours du 19e siècle. A côté des Chevalier, d’autres constructeurs tels Lerebours, Nachet pour l’optique et Ruhmkorff, Gambey et Froment pour la mécanique s’illustrent par la qualité de leur production.

MHS 460
Bois, laiton, verre, Charles Chevalier, Paris, vers 1840
Photographie : Gilles Hernot, MHN
Le microscope a été donné au Musée d’histoire des sciences en 1965 par l’Institut d’histologie et d’embryologie de l’Université de Genève. L’instrument a malheureusement été nettoyé avec des produits inadéquats qui ont provoqué la disparition du vernis protecteur et l’oxydation du métal à certains endroits du tube optique où l’on distingue des traces de doigts.

Photographie : Gilles Hernot, MHN
Les Chevalier, une dynastie d’opticiens parisiens
Le premier de la dynastie, Louis-Vincent (1734-1804), s’établit en tant qu’opticien en 1765 au quai de l’Horloge à Paris. Un de ses trois fils, Vincent (1770-1841), devient l’un des constructeurs de microscopes les plus réputés de l’époque. Son enseigne s’appelle « Au microscope achromatique ». Son fils, Charles (1804-1859), se sépare de son père et monte son propre atelier d’optique. A côté des microscopes, il est aussi très connu pour la qualité du matériel photographique qu’il produit. Il a notamment développé et perfectionné plusieurs lentilles destinées aux premiers appareils photographiques. Son entreprise est reprise en 1859 par son fils Arthur.

Wikipedia
Bibliographie
Margarida Archinard. Le microscope achromatique de Selligue. SPHN, Genève, 1993.
Charles Chevalier. Des microscopes et de leur usage. Paris, 1839.
André Recoules. Une histoire du microscope. Moulins. 2002.