L’origine de l’expression « En monnaie sonnante et trébuchante », encore utilisée aujourd’hui, remonte à la fin du Moyen-Age. La valeur d’une pièce de monnaie est alors fixée par la qualité de l’alliage en or ou en argent qui la compose et par son poids.

Frau beim Goldwägen
Anonyme, Allemagne, 18e siècle, Wikipedia

Pour vérifier si une pièce est authentique, les marchands et les commerçants disposent de deux méthodes. La première, qui n’est pas très scientifique, consiste à lancer la pièce sur une surface dure et à écouter le son produit. Un son clair indique une bonne qualité d’alliage. Le second moyen de vérification, plus fiable, consiste à peser la pièce de monnaie à l’aide d’une petite balance à deux plateaux nommée trébuchet, et de la comparer avec un poids (monétaire) de référence, appelé dénéral. Si la balance trébuche (penche) du côté de la pièce, la transaction peut avoir lieu : la pièce est authentique. Dans le cas contraire, le marchand ou le commerçant rajoute des petits poids pour atteindre l’équilibre. Il déduit ensuite la somme de poids ajoutés pour déterminer la valeur réelle de la pièce. Cette légère perte de poids est souvent naturelle et est provoquée par l’usure du métal lors des multiples transactions. Mais parfois, elle peut aussi signaler un acte frauduleux comme le rognage intentionnel à coup de limes pour récupérer quelques poussières d’alliage précieux ou encore la présence d’un alliage moins précieux dans la composition de la monnaie.

Echantillon de dénéraux (poids monétaire) contenus dans la boite monétaire MHS 1787
Recto (de gauche à droite)
Louis aux 4 l, louis aux lunettes, lisbonnine, louis aux 2 l, écu d’or espagnol.
Au verso de chaque dénéral est gravé son poids en deniers (D) et en grains. Au milieu figure la marque et les initiales JB du fabricant (Jacques Blanc)

Instrument très répandu au cours du 16e et 17e siècle grâce à l’essor du commerce et du négoce, le trébuchet monétaire de poche et son assortiment de dénéraux sont rangés dans une boite en bois aisément transportable. De forme carrée ou pyramidale, les dénéraux sont fabriqués en fer ou en cuivre. Le poids de chacun d’entre eux correspond précisément au poids officiel de la monnaie qu’il définit. L’illustration de la monnaie est souvent gravée sur une face. Sur l’autre, figurent des indications sur son poids (en deniers et en grains) ainsi que la marque du balancier (constructeur de balance) qui les a fabriqués.

Le prêteur et sa femme
Quentin Metsys, le Prêteur et sa femme, 1514, Musée du Louvre, Wikipedia

Le Musée d’histoire des sciences possède deux trébuchets monétaires de poche dans ses collections. Les deux portent la signature de Jacques Blanc (1636 – 1726) un maître balancier lyonnais établi à Genève dès 1701 pour fuir les persécutions religieuses.  Lyon était alors un grand centre de production de balances monétaires et comptait plus de 18 fabricants spécialisés dans ce domaine. A la mort de Jacques Blanc en 1726 à Genève, son atelier de boites de changeur est repris par son fils Jean-Henri jusqu’au décès de celui-ci en 1763.

L’étude des poids monétaires contenus dans les deux boîtes témoigne des monnaies les plus utilisées à Genève au début du 18e siècle. La plus petite boîte comprend trois types de poids monétaires : les louis de France, les écus (aussi appelés pistoles) et les ducats espagnols. Ces deux dernières monnaies sont même frappées à Genève durant le 17e siècle.

Trébuchet monétaire de poche
MHS 1789
Bois, laiton, fer, Jacques Blanc, Genève, vers 1720
MHS-1789-4

La seconde boîte offre une plus grande variété de poids monétaires : différents types de louis d’or, des écus, des ducats espagnols, deux monnaies portugaises et une pistole de Genève. En plus de la balance à deux plateaux, elle comprend aussi une pile de quatre poids en godets donc chacun pèse respectivement 1, ½, ¼, et 1/8 d’once (1 once : 30,594g) et deux lamelles en laiton étalonnés en grains (1 grain : 0,0531148g). Enfin, dans le couvercle, figurent aussi des inscriptions rappelant les poids en deniers (1 denier équivaut à 24 grains et pèse 1,2748g) et en grains de certaines monnaies.

Trébuchet monétaire de poche
MHS 2577
Bois, laiton, fer, Jacques Blanc, Genève, vers 1720
MHS-2577-2

Ces poids et ces inscriptions témoignent d’une nouvelle manière de vérifier les monnaies, apparue au cours du 18e siècle. Le nombre sans cesse croissant de pièces en circulation ne permet plus de les représenter toutes par un poids de référence. Les changeurs se limitent désormais à peser les monnaies les plus usuelles et de comparer leur poids à des indications de référence comme celles figurant dans la boite de changeur du Musée d’histoire des sciences.

Une balance à carats de poche

Le Musée d’histoire des sciences a récemment acquis une petite boite avec trébuchet et assortiment de poids construit par le balancier genevois Frédéric Scholl (1847-1927) qui rappelle fortement les boites de changeurs décrites dans l’article ci-dessus mais dont la fonction est un peu différente. Ce trébuchet est conçu pour peser des gemmes, diamants ou pierres précieuses afin de déterminer leur poids en carat métrique, en les comparant aux poids de référence se trouvant dans la boite. Introduit en 1907, le carat métrique (noté CM) pèse l’équivalent de 200 milligrammes. L’assortiment de poids comprend des poids de 25, 10, 5 et 2 carats métriques. Il manque le poids de 1 carat. La boite contient aussi une série de poids en carats anciens, en vigueur avant l’introduction du carat métrique. 1 carat ancien vaut environ 205 mg.

Balance à carats de poche
MHS 2921
Bois, laiton, fer, Frédéric Scholl, Genève, vers 1910
MHS-2921-2