Visite insolite au Musée d’histoire des sciences un récent matin de septembre. Un couple berlinois d’un certain âge cherche à rencontrer le responsable des collections. Le monsieur demande poliment s’il est possible de lui présenter un instrument des collections nommé « Topodict ». Il s’agit d’un curieux instrument, mélange de lunette terrestre et de pantographe muni d’un stylet se déplaçant sur un panorama légendé. Sur le plateau circulaire est gravé la signature du constructeur : « Otto Eichenberger, inventeur breveté » et l’adresse de son « atelier de construction de petite mécanique » au « 5, rue du Temple à Genève ».

Notre visiteur, Thomas Reiche, est son arrière-petit-fils. Après une première tentative de visite avortée 2020 en raison du Covid, il découvre enfin au Musée l’instrument réalisé par son aïeul, inventeur genevois méconnu auquel il vient de consacrer un livre. On y apprend qu’Otto Eichenberger est né à Zofingue (AG) en 1859 où il suit un apprentissage de mécanicien. Vers 1880, il déménage à Genève où la famille de sa femme tient un commerce de tissus. Il y ouvre son atelier de mécanique.

La fin du 19e siècle est une période faste pour le tourisme alpin en Suisse. L’attrait des montagnes fait venir des touristes de l’Europe entière. Des nouvelles lignes de train conduisent les voyageurs sur les sommets où sont érigés des hôtels luxueux jouissant d’une vue imprenable sur le massif alpin. Mais comment s’appellent ces sommets et ces vallées ? Souvent confronté à ce genre de questions lors de ces excursions alpines, Eichenberger imagine un appareil qui combinerait observation et description du paysage.

La femme d’Otto Eichenberger et une amie manipulant un Topodict
Collection privée

Après plusieurs mois d’essais dans son atelier, il parvient à fabriquer en 1898 son premier Topodict qu’il fait aussitôt breveter. Le brevet mentionne un « Instrument à viseur pour tracer et observer des panoramas, déterminer le lieu d’un signal, d’un incendie ». L’instrument se compose d’une lunette de visée, d’un plateau sur lequel est gravé le panorama environnant, le nom des sommets et des objets remarquables, et d’un style actionné par des bielles et des leviers. En visant un sommet, une vallée ou autre curiosité naturelle avec la lunette, le touriste retrouve son nom en lisant l’indication figurant sous le stylet.

Le Topodict du Musée d’histoire des sciences
MHS 851
Le brevet du Topodict
Dessin accompagnant le brevet n° 16296 déposé par Otto Eichenberger en 1898 au Bureau fédéral de la propriété intellectuelle concernant un Instrument à viseur pour tracer et observer des panoramas, déterminer le lieu d’un signal, d’un incendie, etc.

Selon Thomas Reiche, une soixantaine de Topodicts auraient été installés en Suisse. Un instrument aurait même équipé la tour Eiffel.  Si d’un point de vue mécanique, la fabrication du Topodict était bien maîtrisée, la représentation du panorama visualisé par l’appareil était plus laborieuse. A chaque nouvelle commande, Eichenberger devait se rendre sur lieu d’installation de l’instrument pour dessiner le paysage environnant. Pour faciliter son travail, il invente un autre instrument, le Perspectograph, sorte de lunette reliée à un porte-crayon articulé qui lui permet de dessiner les contours d’un paysage observés à travers sa lunette. Une fois le paysage levé au crayon, il était gravé au burin sur le plateau central de l’instrument.

Otto Eichenberger et son Perspectograph
Inventé par Eichenberger, l’instrument permet de dessiner des paysages en les observant avec une lunette. Le Perspectograph a fait l’objet d’un brevet déposé en 1902 aux Etats-Unis par Otto Eichenberger et son associé genevois Paul Galopin.

Le client recevait une copie imprimée du panorama. Une autre copie était conservée par Eichenberger pour démarcher de nouveaux clients.

Les trois panoramas de Topodict imprimés conservés à la Bibliothèque de Genève
Panorama du Rigi, Otto Eichenberger, vers 1900, Bibliothèque de Genève
Panorama de Frobourg, Otto Eichenberger, vers 1899, Bibliothèque de Genève
Panorama sur les hauts de Vevey, Otto Eichenberger, 1901, Bibliothèque de Genève

Trois panoramas imprimés de Topodict – Rigi, Frobourg et Vevey – sont conservés à la Bibliothèque de Genève. Selon Thomas Reiche, le seul instrument survivant serait celui du Musée d’histoire des sciences. Il a été donné par le Musée de l’Ariana en 1974. D’après la carte gravée sur le plateau, l’instrument devait être installé autrefois dans le parc de l’Ariana sur le côteau de Pregny-Chambésy face au lac et aux montagnes savoyardes.

Lors de sa visite au Musée, l’arrière-petit-fils de l’inventeur genevois, a découvert avec beaucoup de curiosité une réplique moderne du Topodict que le Musée a fait fabriquer par un artisan local, et qui avait été installé sur le balcon du Musée en 2016 le temps d’une exposition temporaire intitulée « T’es où ? » consacrée à la topographie.

La réplique moderne du Topodict
Reproduite dans le cadre de l’exposition temporaire « T’es où ? » la réplique moderne du Topodict a été installée sur le balcon du Musée en 2014.
(Musée d’histoire des sciences et Ateliers Kolly à Genève)

La vie d’Otto Eichenberger en quelques dates

1859 : Naissance à Zofingue (AG) en 1859. Apprentissage de mécanicien.

1879 : Otto épouse Léonie Reymond dont la famille tient au commerce de tissus à Genève. Déménagement à Genève.

1879 : Etudes d’ingénieur en mécanique à l’Ecole polytechnique de Zurich.

1892 : Dépôt d’un brevet en Suisse pour un châssis photographique à réservoir.

1895 : Dépôt d’un brevet en Suisse pour un châssis photographique simple à magasin séparable.

1899 : Invention du Topodict et dépôt du brevet en Suisse. Il fonde la firme Topodict pour commercialiser son instrument. Il s’associe avec deux autres genevois : Edmond Rochette et Paul Galopin.

1902 : Invention du Perspectograph et dépôt d’un brevet aux Etats-Unis.

1904 : Séjour aux Etats-Unis où il travaille dans les laboratoires de Thomas Edison. Il essaie en vain de commercialiser son Topodict.

1906 : Dépôt d’un brevet en Suisse pour un automate pour jeu de quilles.

1915 : Dépôt d’un brevet en Suisse pour un cheval à balançoire galopant.

1931 : Décès à Lancy.