Des miroirs composés de speculum

A l’instar du premier télescope inventé par le physicien anglais Isaac Newton en 1672, les instruments fabriqués au cours du 18e siècle possèdent tous un miroir en bronze. En 2007, une étude menée sur vingt-deux télescopes anglais du 18e siècles conservés dans une collection privée montrait que tous leurs miroirs étaient composés de « speculum », un bronze à forte teneur en étain. Les télescopes anciens du Musée d’histoire des sciences de Genève (MHS) n’échappent pas à la règle. C’est ce que vient de révéler une récente analyse menée par le laboratoire genevois Geneva Fine Art Analysis sur six instruments des collections.

Les miroirs de ces télescopes présentent une composition chimique presque identique avec 71-75% de cuivre, 25 à 29% d’étain et quelques traces d’arsenic (0,2 à 0, 5%). Seul, un petit télescope de démonstration non signé présente une teneur en étain légèrement inférieure de 21%. Il pourrait s’agir d’un instrument un peu plus tardif, destiné plutôt à l’enseignement qu’à l’étude du ciel. Au cours de ce travail, les miroirs principaux ont été soigneusement démontés avant d’être placés sous la sonde d’un appareil portatif de FRX (Fluorescence par rayons X) pour analyse. Trop difficiles d’accès, les miroirs secondaires n’ont pas été étudiés.

Le speculum était déjà utilisé depuis l’Antiquité dans la fabrication de miroirs à main. L’ajout d’étain permettait aux miroirs d’être plus réfléchissants et moins sensible au ternissement. Par contre, cet élément rendait l’alliage de cuivre plus dur et difficile à travailler.

C’est pourquoi, les premiers fabricants de télescopes éprouvaient beaucoup de peine à confectionner des miroirs. Plus habiles à travailler le verre que le métal, ils ne disposaient pas de techniques de polissage adéquates. Pour éviter certaines aberrations optiques, les miroirs principaux doivent avoir une forme parabolique. Ce qui était très difficile à réaliser à cette époque, faute d’outils et de savoir-faire. Pendant la première moitié du 18e siècle, les constructeurs n’étaient capables de produire que des miroirs de dimension réduite destinés à des petits objets de salon, pas forcément adaptés à l’astronomie. Entre 1740 et 1760, le constructeur anglais James Short parvient à réaliser des télescopes de plus grandes dimensions qu’il vend aux observatoires. Mais c’est surtout l’astronome germano-britannique William Herschel (1738-1822), le découvreur d’Uranus, qui va dynamiser la réalisation de grands télescopes En 1789. Il construit un télescope géant de 12m de long comprenant un miroir en bronze de 1,2m de diamètre réalisé par ses propres soins. Un record en la matière !

Le résultat des analyses de la composition chimique des miroirs des télescopes du Musée d’histoire des sciences est conforme à certaines descriptions que l’on retrouve dans des ouvrages techniques anciens comme par exemple Le Traité sur la construction d’un télescope de réflexion publié en 1738 par l’ingénieur mécanicien français Claude Siméon Passemant (1702-1769). Dans le chapitre consacré à la composition des miroirs, on peut y lire : « L’on prend vingt onces du plus fin cuivre rouge, qu’on nomme Cuivre rosette. Neuf onces d’étain d’Angleterre du premier affinage mis en grenailles ; au défaut de cet étain on prend de celui qui vient des Indes, qui est par livre, et que l’on nomme Etain en-petit-chapeau. Huit onces d’arsenic blanc. Telle doit être la proportion de matières qui entrent dans la composition des miroirs ». L’arsenic servait à affiner le métal pendant la préparation du mélange.

Quant à la fabrication du speculum proprement dit, le passage de l’ouvrage qui y est consacré mérite aussi lecture :  « Tout étant préparé, l’on met le feu au fourneau, après y avoir posé le creuset, on l’échauffe par degrés, de peur qu’il ne casse, et lorsqu’il est tout rouge on y met le cuivre, après l’avoir scié ou rompu en morceaux, on souffle le feu jusqu’à ce qu’il soit fondu, on en ôte l’écume avec une cuillère de fer rougie au feu, on fait fondre l’étain, on la verse dans le creuset avec le cuivre que l’on remue ensemble, afin que les matières s’incorporent. On sépare l’arsenic en deux ou trois parties, on les enveloppe dans autant de papiers, et on les jette séparément dans le creuset, que l’on couvre à chaque fois environ l’espace de deux minutes. Après cela, on ôte le couvercle, et lorsque la matière ne fume plus, on l’écume, on la remue avec la cuillère de fer rougie, on la laisse au feu encore 3 ou 4 minutes, ensuite on la retire, on l’écume, on la remue, et lorsqu’elle commence à se refroidir, on la coule dans le moule, qu’il faut incliner sur le côté de la forme, afin que la matière par la pesanteur en prenne exactement la figure ».

Télescope de Newton, Gregory et Cassegrain

Trois types de télescopes sont apparus au cours du 17e siècle : le télescope d’Isaac Newton (1672) celui de James Gregory (décrit en 1663 et construit en 1673 par Robert Hooke) et celui de Laurent Cassegrain (1672)

Dans un télescope « newtonien », la lumière est collectée par un miroir parabolique GH disposé au fond du tube. Le miroir réfléchit la lumière vers un miroir secondaire K disposé à 45° qui la dévie vers l’oculaire composée d’une lentille biconvexe où elle est agrandie.

Le télescope « grégorien » comprend un miroir principal parabolique GH percé en son centre. La lumière est réfléchie vers un second miroir secondaire concave LK qui la renvoie vers l’oculaire placé au fond du tube L’oculaire est composé de deux lentilles : un plan convexe Ll et une convexe Mm.

Similaire au télescope grégorien, le télescope de Cassegrain est muni d’un miroir secondaire convexe hyperbolique.

Abbé Nollet, Leçons de physique expérimentale, tome 5, Paris, 1755, Bibliothèque du MHS (MHS 530 NOL/5)

Les télescopes du Musée d’histoire des sciences

Télescope type Gregory
MHS 25
Laiton, bois, cuir, speculum (73% cuivre, 25% étain, 0.3% plomb, 0,2% arsenic) , verre
Collection Saussure
Diamètre miroir : 52 mm. Longueur tube optique : 345 mm
Non signé, ce télescope de salon est soutenu par un pied en bois. L’oculaire est incomplet.

 

Télescope type Gregory
MHS 115
Laiton, speculum (71% cuivre, 29% étain, 0,2% arsenic), verre, Londres, 1766-1795
Cabinet Pictet
Diamètre miroir 99 mm. Longueur tube optique : 645 mm
Ce télescope en laiton est signé sur le porte-oculaire « G.Adams, N° 60 Fleet Street, London », célèbre atelier londonien  de construction d’instruments scientifiques et topographiques fondé par George Adams père en 1734 et repris par son fils Georges jusqu’en 1795.

 

Télescope type Newton
MHS 116
Laiton, speculum (74 % cuivre, 26 % étain, 0,2 % arsenic), verre, Londres, 1734-1766
Cabinet Pictet
Diamètre miroir : 84mm. Longueur tube optique : 620mm
Ce télescope de salon porte la signature « Geo Adams in Fleet Street, London », probablement Georges Adams père qui a fondé son atelier en 1734.

 

Télescope type Gregory
MHS 1665
Laiton, speculum (74% cuivre, 26% étain, 0,1% plomb, 0,3% arsenic), verre, Londres, 1738-1768
Diamètre du miroir : 635 mm. Longueur du tube optique : 340 mm
Le pied de ce télescope de salon se fixe sur le couvercle supérieur de la caisse de rangement. Il est signé James Short, constructeur londonien réputé de télescopes actif entre 1738 et 1768.

 

Télescope type Gregory
MHS 2547
Laiton, speculum (75% cuivre, 25% étain, 0, 5% arsenic), verre, Londres,
Diamètre du miroir : 100 mm. Longueur du tube optique : 660 mm.
Bel exemple de télescope de salon destiné à des amateurs éclairés. L’instrument est rangé dans sa caisse en bois. Il est muni de deux oculaires. L’instrument est signé Nairnt & Blunt, London, du nom de deux constructeurs londoniens associés entre 1774 et 1793.

 

Télescope type Cassegrain
MHS 2787
Laiton, speculum (75% cuivre, 21% étain, 0,3% plomb, 0, 3% arsenic), verre
Diamètre du miroir : 45 mm. Longueur du tube optique : 213 mm.
Vue sa taille réduite, cet instrument était probablement plus destiné à l’enseignement qu’aux observations astronomiques.

Bibliographie

  • K. Anheuser and I. Santoro. The composition of bronze mirrors in 18th century telescopes. Historical Metallurgy 54 (2) 2023, 77-84.
  • Claude Siméon Passemant. Construction d’un télescope de réflexion. Paris,1730. Réédition Rose des Vents 1980
  • Maurice Daumas, Les instruments scientifiques au 17e et 18e siècles, Gabay, Paris, 2003, 2004