Pour les écoliers, le compas et son utilisation constituent souvent les premiers pas dans une discipline un peu désuète qu’est la géométrie descriptive. Pourtant au tournant du 20e siècle, lorsque les ordinateurs et les logiciels de dessin n’existaient pas encore, le compas était un instrument indispensable aux architectes, géomètres, ingénieurs et autres artisans dans la réalisation de leurs cartes, dessins ou autres plans.

Compas et accessoires divers
Tiré de George Adams, “Geometrical and Graphical Essays”, Londres, 1791
Bibliothèque du MHS

Le compas se déclinait alors sous de multiples formes et accessoires comme en témoignent deux magnifiques boites de dessin conservées dans les collections du Musée d’histoire des sciences. Toutes deux proviennent des ateliers Hommel Esser, fabricants réputés de compas établis à Aarau durant la seconde moitié du 19e siècle. La firme avait été fondée en 1803 par Ludwig Esser, un forgeron d’origine alsacienne qui s’était établi dans la ville argovienne. A sa mort en 1826, la firme est reprise par un de ses anciens apprentis : Friederich Hommel. Elle change de raison sociale en 1845 et devient Hommel-Esser.

Carton publicitaire Hommel-Esser
Collection MHS
Photo : Gilles Hernot, MHS

Durant la seconde moitié du 19e siècle, Aarau était le centre européen du compas puisqu’elle abritait aussi l’usine de fabrication d’instruments de précision Kern, fondée en 1819 par Jakob Kern, connue loin à la ronde pour la qualité de sa production et spécialement de ses compas.

Jetons un petit coup d’œil à l’intérieur des deux boîtes.

La première en bois recouvert de cuir contient une trentaine de pièces en laiton poli et doré dont un très grand compas de plus de 30cm de longueur avec des branches de rechanges, certaines destinées à recevoir des mines de crayon et d’autres munies de tire-lignes pour le dessin à l’encre.

Parmi les autres instruments, on trouve encore deux compas à pointes sèches pour reporter des distances, un compas de réduction pour agrandir ou réduire une figure et encore un petit compas à balustre pour tracer des cercles de petits diamètres. Le balustre désigne l’appendice qui prolonge le compas que l’on fait rouler entre le pouce et l’index lors d’un tracé. Signalons encore la présence d’un autre accessoire très curieux : une branche de compas munie d’une petite roue dentée engrenant un minuscule disque en os pour tracer des lignes pointillées. Enfin, une équerre et un rapporteur en laiton complètent encore l’équipement de la boite.

Boite de compas
MHS 1533
Bois, cuir, laiton, os, Hommel-Esser, Aarau, 1869
Photo : Gilles Hernot, MHS

Seul le grand compas porte des inscriptions. A l’intérieur de l’une de ses branches est inscrit : « Hommel-Esser, Aarau, Suisse, 1869 ». A l’extrémité du compas est gravé « A. Perret » qui est probablement le nom de l’ingénieur à qui appartenait la boite.

Assortiment de compas
MHS 1533
De haut en bas et de gauche à droite : compas de réduction, compas à pointes sèches, tire-ligne, roulette à tracer les pointillés, compas à balustre.
Photo : Gilles Hernot, MHS

La seconde boite en acajou est tout aussi intéressante malgré quelques accessoires manquants. Première surprise : tous les instruments sont en maillechort, un alliage de cuivre, zinc et nickel, qui leur confèrent une apparence un peu plus moderne et moins raffinée que ceux du premier coffret.

Les pièces les plus imposantes sont un compas à verge muni d’une rallonge pour tracer des cercles de grande dimension ainsi qu’un compas de réduction muni d’un réglage fin. A côté de plusieurs tire-lignes, on y trouve aussi plusieurs compas à pointe sèche ainsi que deux compas à balustres. Les instruments sont contenus dans un plateau amovible.

Boite de compas
MHS 1740
Acajou, maillechort, bois, os, Hommel-Esser, Aarau, 1874
Photo : Gilles Hernot, MHS
Assortiment de compas
MHS 1740
De haut en bas : compas à verge, compas à balustre, compas à pointe sèche, compas de réduction et roulette pour tracer les pointillés.
Photo : Gilles Hernot, MHS

Sous ce plateau on trouve encore un carton publicitaire à l’effigie de Hommel-Esser et surtout une facture de 400 francs et 75ct établie à Aarau à l’attention de E. Pictet, major fédéral à Genève, le 18 mars 1874. La facture détaille tout le contenu de la boîte. Parmi les articles les plus chers figurent le compas de réduction (33 francs et 20ct), le compas à verge (31 francs) et un pied de calibre (24 francs) malheureusement disparu. Le coffret en acajou coûte 22,40 francs.

Facture de la boite de compas MHS 1740
Collection MHS
Photo : Gilles Hernot, MHS

Une question subsiste encore : qui est cet E. Pictet, l’acheteur de la boite de compas désigné en tant que « Major fédéral » sur la facture ? Il s’agit vraisemblablement d’Edouard Pictet (1813-1877), banquier mais surtout ingénieur de division et lieutenant-colonel de l’armée suisse. Peu de temps avant son décès, il publie une carte en relief du petit lac de Genève à l’échelle 1/25’000 sur la base de sondages qu’il a lui-même réalisés les années précédentes. Tout laisse à supposer que la boîte de compas lui a servi à établir cette fameuse carte qui est aujourd’hui conservée dans les réserves du Muséum d’histoire naturelle de Genève.