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Répliques et dispositifs interactifs

Pour contourner l’écueil de la restauration, le Musée s’est lancé dans une voie alternative : la fabrication de répliques. Depuis une dizaine d’années, une promenade scientifique constituée de différents éléments modernes en acier inoxydable a été installée sur l’esplanade devant le Musée. Les flâneurs peuvent ainsi découvrir le fonctionnement d’une dizaine d’instruments originaux présentés au Musée, comme un quart de cercle destiné à déterminer une hauteur, les hémisphères de Magdebourg, un globe gnomonique, un cadran solaire analemmatique où le visiteur devient le porte-ombre du dispositif.

Des répliques se trouvent aussi dans les salles permanentes du Musée. Dans la salle d’optique, des anamorphoses, copies de modèles originaux faisant partie du cabinet Pictet, recomposent en de bonnes proportions des images volontairement déformées à l’aide de miroirs triangulaires ou circulaires.  Dans la salle des poids et mesures, une toise permet aux visiteurs de mesurer leur hauteur en pied et en mètre et de comparer la taille de leur pied à celle d’un pied de roi français ou anglais.

Mais c’est surtout les expositions temporaires qui donnent lieu à la fabrication de nouvelles répliques et dispositifs interactifs. Ces expositions durent environ une année. Par leur thématique, elles offrent la possibilité d’exposer des objets de collections peu présentés. Par exemple, « Genève à la force de l’eau » (mai 2009 à janvier 2011) consacrée à l’histoire de la force hydraulique à Genève, contenait plusieurs maquettes de moulins, des modèles d’engrenages, une vis d’Archimède inspirée de pièces originelles des collections. Réalisée dans le cadre du cinquantenaire de l’ Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), « Galilée l’Essayeur » (octobre 2004 à février 2005) offrait au public la possibilité de refaire les expériences sur la chute des corps sur un plan incliné similaire à celui utilisé par le célèbre savant toscan 400 ans auparavant.

Des dispositifs interactifs pour expliquer l’astronomie

Enfin attardons-nous encore sur l’exposition « Terre et Soleil » qui s’est tenue au Musée d’histoire des sciences en 2015 et qui était particulièrement riche en répliques et maquettes. L’exposition décrivait comment l’homme est passé d’une vision géocentrique à une perspective héliocentrique de l’univers au cours des siècles passés.  Elle était le complément de l’exposition « Exoplanètes » organisée au Muséum d’histoire naturelle à l’occasion du vingtième anniversaire de la découverte de la première planète hors de notre système solaire par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz.

Devant la complexité du sujet et les connaissances fondamentales astronomiques nécessaires à sa compréhension, le Musée a volontairement choisi de limiter les textes écrits et de recourir à un maximum de dispositifs interactifs. Une brochure – catalogue d’accompagnement plus détaillée permettait aux personnes intéressées d’en savoir plus sur les différents sujets abordés [9].

Les dispositifs conçus spécialement pour cette exposition peuvent être classés en deux types : d’une part les manipulations expliquant des phénomènes astronomiques ou des concepts historiques, d’autre part les copies d’instruments anciens illustrant leur fonctionnement.

Parmi les manipulations explicatives, mentionnons un soleil artificiel qui se déplace au bout d’un arceau mobile éclairant un jet d’eau, qui permet de simuler une journée à Genève à différentes saisons de l’année. Une série de sphères en plastique acrylique s’emboîtant les unes dans les autres autour d’une Terre centrale immobile représente les différents cieux de l’univers géocentrique des Anciens. [10]

Pour mettre en valeur l’importance des découvertes de Galilée en faveur d’un univers héliocentrique, trois dispositifs mettaient en évidence ses principales observations astronomiques. Une maquette en trois dimensions de la Lune avec ses cratères était éclairée frontalement, puis latéralement. Le relief apparaissait plus marqué lorsque la lumière est rasante. Galilée a profité d’un éclairage solaire rasant pour observer et produire ses dessins de lunes toutes cabossées. Avec sa lunette, le savant toscan a aussi découvert que Vénus présente des phases similaires à celles de la Lune. Il en a déduit que ces phases ne peuvent survenir que si Vénus tourne autour d’un Soleil central et immobile et non autour d’une Terre fixe. Deux modèles de système solaires simplifiés, l’un avec un Soleil électrique central, l’autre avec un Soleil mobile, illustraient les réflexions de Galilée. Seul le modèle héliocentrique permettait d’observer un croissant de Vénus depuis la Terre. Enfin, une dernière installation, sorte de grand mobile représentant Jupiter et ses quatre principaux satellites, était mise à la disposition du public pour que celui-ci dispose la planète et ses satellites selon les dessins originaux que Galilée a publié pour témoigner de sa découverte.

Pièces majeures de cette exposition et instruments emblématiques d’une astronomie ancienne géocentrique, un astrolabe et une sphère armillaire des collections étaient présentés en vitrine à côté de deux répliques géantes en aluminium manipulables par les visiteurs. Une marche à suivre expliquait comment se servir de ses deux instruments pour déterminer l’heure des levers et couchers de Soleil ou pour connaître l’heure à partir de la position de certaines étoiles dans le ciel.

Parmi les instruments héliocentriques de ses collections, le Musée possède le remarquable planétaire d’Adams déjà mentionné plus haut ainsi qu’un autre tellurium du XVIIIe siècle de fabrication hollandaise [11] décrivant le mouvement de la Terre, de la Lune autour du Soleil. Une manivelle en ivoire actionne par le biais d’engrenages le couple Terre – Lune autour d’un grand plateau circulaire doté d’une crémaillère sur son pourtour. Un petit ressort métallique fait entendre un petit cliquetis à chaque rotation de la Terre sur elle-même. La Lune se déplace sur un petit rail incliné autour de la Terre en 29 jours. Le calendrier et les signes du zodiaque sont gravés sur le plateau central.

Tellurium, Abraham van Aken, Pays-Bas, vers 1760
MHS inv. 649, collection du Musée d’histoire des sciences
© Musée d’histoire des sciences

Détail amusant : ce chef d’œuvre mécanique, entièrement restauré, a été donné au Musée en 1964 lors de sa fondation par la … Société des Arts. On ignore à ce jour comment cet appareil est arrivé à Genève.

Mis à part son raffinement et l’extraordinaire qualité de sa finition, cet objet est aussi un superbe instrument de démonstration qui explique plusieurs phénomènes astronomiques fondamentaux liés à notre Terre, comme l’alternance du jour et de la nuit, la ronde des saisons, la signification des signes du zodiaque, les phases de la Lune, et le phénomène des éclipses.

Aux vues de ses qualités didactiques, ce tellurium était un candidat idéal pour faire l’objet d’une réplique. Il ne s’agissait pas de fabriquer une simple copie mais de concevoir un dispositif robuste et imposant autour duquel plusieurs personnes pourraient se tenir. En collaboration avec un ingénieur horloger à la retraite, le projet a finalement abouti à la réalisation d’un tellurium constitué d’une grande table en bois surmontée de deux plateaux qui se tournent à la main.

Tellurium de démonstration.
Musée d’histoire des sciences, 2015
© Musée d’histoire des sciences

En déplaçant l’un des plateaux, on fait tourner la Terre inclinée sur son axe autour du Soleil électrique fixé au centre du dispositif. Un calendrier mobile circulaire placé sous la Terre indique la période de l’année. Les signes du zodiaque dessinés sur le pourtour de la table indiquent les constellations apparemment visitées par le Soleil (vu depuis la Terre !) tout au long de l’année. Un bouton placé sur le côté du dispositif simule le mouvement de précession de la Terre, un phénomène astronomique lié à l’attraction combinée de la Lune et du Soleil, qui provoque une lente rotation de l’axe terrestre.  C’est à cause de la précession que les signes du zodiaque liés aux saisons se décalent progressivement par rapport aux constellations [12]. Il y a 2000 ans, lorsqu’ils ont été définis, les signes du zodiaque correspondaient aux constellations dont ils portent le nom. Actuellement ce n’est plus le cas. Lorsque le Soleil est dans le signe du Lion, il est observé dans la constellation du cancer… Du coup, la réplique est aussi utilisée pour évoquer le lien entre astrologie et astronomie…

Des répliques pour la recherche

Si la réplique sert essentiellement à des fins de médiation, elle est aussi utilisée au Musée pour reconstituer certaines expériences historiques. Dans la salle dédiée à la météorologie est exposée une des pièces majeures des collections du Musée : la machine à reproduire les aurores polaires réalisée par le savant genevois Auguste de la Rive (1801-1873) [13]. Ce dernier l’avait conçue pour valider expérimentalement sa théorie sur la formation des aurores.

Machine à reproduire les aurores polaires, Auguste de la Rive, Société d’Instruments de physique de Genève, vers 1865.
MHS inv. 501, collection du Musée d’histoire des sciences
© Musée d’histoire des sciences

Selon lui, ces phénomènes naturels découlent des interactions entre l’électricité et le magnétisme terrestre. Dans les régions polaires, des décharges entre l’électricité positive de l’atmosphère et celle négative de la Terre se transforment en rubans colorés sous l’action du champ magnétique terrestre. Formulée vers le milieu du XIXe siècle, cette théorie n’a été infirmée qu’au début du XXe siècle lorsqu’on a découvert que la cause des aurores était extra-terrestre, et qu’elles découlaient de collisions entre particules provenant du Soleil et des molécules atmosphériques.

La machine à aurores de De la Rive consiste en une grosse sphère de bois (la Terre) munie à chacun de ses pôles d’une cloche en verre recouvrant une tige en fer doux. En provoquant des décharges électriques à haute tension dans ces cloches vidées partiellement de leur air, on obtient des jets lumineux bleus et rouges similaires à ceux des aurores. Auguste de la Rive écrit à ce sujet :

Puis au moment où l’on aimante le fer doux le jet se met à tourner en se subdivisant en une multitude de petits filets brillants partant de l’anneau lumineux qui entoure l’extrémité du fer doux pour aboutir au cercle métallique. Ces filets, également espacés, sont parfaitement distincts les uns des autres comme les rayons d’une roue tournant avec une rapidité plus ou moins grande. On a là une représentation parfaitement fidèle de ce qui se passe dans les aurores boréales lorsque les arcs auroraux dardent des jets lumineux dans les hautes régions de l’atmosphère. [14]

Il ne restait plus qu’à vérifier expérimentalement cette description. Avec ses deux cloches en verre fendue, les joints originaux décollés, la machine n’était plus utilisable. Procéder à des réparations n’aurait fait qu’altérer l’aspect et le style de l’objet et aurait été contraire à la philosophie de restauration du Musée qui consiste à garder les objets dans leur état de patine et d’altération. Il a donc été décidé de fabriquer une réplique moderne en collaboration avec un mécanicien et un souffleur de verre de l’Institut de physique de l’Université de Genève. Aujourd’hui, cette réplique fonctionne.

Expérience avec la réplique de la machine à reproduire les aurores polaires.
© Musée d’histoire des sciences

Elle produit effectivement des jets lumineux de couleur similaire à ceux d’une aurore qui tournent autour de la tige aimantée. Par contre, impossible jusqu’ici de reproduire de manière régulière « les filets brillants similaires aux rayons d’une roue » décrits par de De la Rive. Il est vrai que les protocoles expérimentaux accompagnant les travaux du physicien genevois sont très lacunaires. Les recherches et les expériences se poursuivent pour tenter d’obtenir un résultat plus proche des descriptions.

Médiation, recherche et valorisation des collections, les répliques connaissent donc de nombreuses applications au Musée d’histoire des sciences de Genève. A leur manière, elles contribuent à faire revivre des instruments anciens tout en les préservant.

 

Bibliographie

[9] Stéphane Fischer et Laurence Isaline Stahl-Gretsch. Terre et Soleil. Genève. 2015 Musée d’histoire des sciences

[10] On parle des Anciens pour désigner les philosophes et savants grecs de l’Antiquité.

[11] Tellurium. Laiton, ivoire, bois. 35x32x36cm. Abraham Van Aken, Pays-Bas, vers 1760. MHS inv. 649

[12] Pierre CAUSERET, Liliane SARASIN, Les saisons et les mouvements de la Terre, Belin, Paris, 2001, p. 50.

[13] Machine à reproduire les aurores polaires. Bois, verre, acier. 11x40x58cm. Auguste de la Rive, Société d’instruments de physique de Genève. Genève, vers 1860. MHS inv. 501

[14] Auguste DE LA RIVE, « Nouvelles recherches sur les aurores boréales et australes et description d’un appareil qui reproduit avec les phénomènes qui les accompagnent », Mémoires de la société de physique et d’histoire naturelle de Genève, tome XVI, 1861, pp. 313-341.