Unique institution en son genre en Suisse, le Musée d’histoire des sciences, situé dans une villa patricienne dans un parc sur la rive droite du Léman, abrite une collection d’instruments scientifiques anciens des XVIIIe et XIXe siècles provenant de cabinets de savants qui ont fait la réputation scientifique de la Genève d’autrefois, dont Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), Marc-Auguste Pictet (1752-1825), Auguste de la Rive (1801-1873) et Jean-Daniel Colladon (1802-1893).
Une partie de la collection est aussi constituée d’appareils légués au Musée par l’Institut de physique de l’Université de Genève, d’autres départements de la faculté des sciences, l’Observatoire de Genève, l’enseignement public ou encore des sociétés savantes telle que la Société des Arts de Genève ou la Société astronomique de Genève.
La collection du Musée comprend environ 2’500 pièces dont le tiers est exposé et couvre une large palette de disciplines scientifiques : astronomie, chimie, électricité, météorologie, microscopie, physique de démonstration, météorologie, etc.
Evolution muséographique
Fondé en 1964, le Musée s’installe à la Perle du Lac dans une villa palladienne du XIXe siècle mis à disposition par la Ville de Genève. La présence d’instruments scientifiques dans des pièces aux parquets en bois cirés et aux murs et plafonds richement décorés détonne quelque peu. Depuis sa fondation, le Musée connaît plusieurs étapes muséographiques [1]. En 1964, les objets sont présentés de manière très libre, parfois hors vitrine. Certains visiteurs se souviennent que le conservateur Marc Cramer n’hésitait pas à faire fonctionner certains instruments exposés avec son éternel cigare à la bouche.
La philosophie de la présentation change lors de la restauration de la villa dans les années 1990. Le choix architectural et muséographique se porte sur des vitrines transparentes relativement hautes dont le plan d’implantation dans les salles s’adapte aux dessins du parquet. Les instruments sont présentés dans une perspective progressiste selon une philosophie évolutive. Souvent, les objets exposés ne diffèrent entre eux que par d’infimes détails décelables seulement par des connaisseurs.
En 2000, sous l’impulsion des autorités politiques, le Musée s’ouvre de nouveau au grand public. Le Musée et le parc de la Perle du Lac accueillent la première édition de la Nuit de la science, une manifestation destinée à favoriser le dialogue entre les chercheurs et le public et qui connaît immédiatement un grand succès. Les cafés scientifiques sont organisés au Musée, et les expositions temporaires deviennent plus fréquentes.
Les salles d’exposition sont progressivement rénovées. Un nouveau mobilier plus sobre est installé, qui s’intègre davantage au bâtiment et laisse voir les magnifiques décors peints des murs et des plafonds.
Quant aux objets exposés, le parti a été pris d’en présenter « moins, mais mieux ». Certains d’entre eux ont été choisis parce qu’ils sont les témoins d’une percée scientifique, d’autres de l’histoire de Genève ou encore de la construction du savoir scientifique et des idées en général. Le choix s’est aussi porté sur des instruments qui permettent de mieux comprendre l’évolution de certaines disciplines et techniques.
Reste qu’au-delà de l’évolution muséographique, la présentation d’un tel patrimoine demeure un défi difficile à relever pour le Musée. Les instruments scientifiques anciens n’ont pas été conçus comme des œuvres d’art. Avant d’être élevés au rang de patrimoine, ils servaient à des démonstrations, à mesurer, à peser ou à mener toutes sortes d’expériences en laboratoire ou sur le terrain. Aujourd’hui, ils demeurent inertes dans les vitrines. Comment donc les rendre vivants et plus attractifs pour le visiteur ?
Pour des raisons évidentes de conservation et de préservation, il est impossible de laisser ces instruments en libre accès, car ils ne résisteraient pas longtemps aux manipulations fréquentes et répétées des visiteurs. Le Musée se trouve donc confronté à ce curieux paradoxe : présenter de manière la plus légère possible les instruments au public tout en les mettant sous vitrine pour les préserver de son contact.
L’équipe du Musée a donc choisi plusieurs moyens différents pour rendre ses collections plus vivantes. Depuis quelques années, elle publie des Petits carnets [2], qui sont des sortes d’aide à la visite laissés gratuitement à la disposition des visiteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur les instruments exposés. Chaque salle d’exposition permanente est consacrée à une thématique différente (microscopie, météorologie, astronomie, électricité, poids et mesure, etc.) et dispose de son carnet spécifique. De courts textes illustrés par des gravures d’époque expliquent le fonctionnement de tel ou tel instrument ou remettent en contexte les découvertes ou les inventions. Traduits en anglais et disponibles aussi sur Internet, ces carnets rencontrent un grand succès et sont sans cesse réimprimés.
L’instrument remis en mouvement
Le Musée fait aussi revivre ponctuellement certains de ses instruments emblématiques au cours d’évènements thématiques. C’est le cas par exemple du grand planétaire anglais du XVIIIe siècle [3] construit par le réputé constructeur londonien George Adams (1750-1795) qui trône au milieu du salon et qui est remis en marche à l’occasion de certaines soirées astronomiques. Le fonctionnement de ce chef d’œuvre mécanique devient alors un spectacle comme l’étaient autrefois les premiers cours de physique expérimentale donnés au XVIIIe siècle dans les salons de la haute société parisienne ou londonienne.
En guise de moment fort lors de certaines visites guidées consacrées à l’histoire de l’électromagnétisme, des appareils du XIXe siècle – moteurs électriques, dynamos, électroaimants – sont brièvement remis en service. Ils sont alimentés non pas par une pile ancienne, mais par un transformateur moderne.
Récemment, une quinzaine d’instruments anciens emblématiques ont été remis en fonction dans le cadre de la réalisation d’une série de petits films intitulés « L’instrument expliqué », visibles aujourd’hui sur le site Internet du Musée [4] et sur certaines plateformes de vidéos[5].
Du point de vue de la conservation, la remise en état de certains de ces appareils en vue de leur fonctionnement n’est pas une mince affaire. Dans un premier temps, elle nécessite une étude détaillée de la fonction précise de l’appareil, de son usage, de son constructeur et de sa période de fabrication. Ces renseignements se retrouvent parfois dans des catalogues de constructeurs, des traités pratiques de physique, de mécanique, d’électricité. Ensuite, il s’agit d’évaluer si l’instrument en question est en état de marche ou non et s’il est capable de supporter une remise en fonction. Par exemple, les anciens dispositifs électriques sont souvent munis de fils de cuivre isolés par de la soie qui se détériore avec le temps. Faire circuler un courant électrique conduirait irrémédiablement à un court-circuit. Dans le cas où les fils électriques seraient encore en bon état, il faut aussi tenter de déterminer quel est le courant de fonctionnement nécessaire et adapter celui du secteur par le biais d’un transformateur moderne.
Dans le cas de machines à vapeur anciennes, il faut s’assurer que toute la partie mécanique est en état de marche, dégripper les points de friction, huiler et graisser les axes, changer et remplacer certains joints défectueux. Pour des raisons de sécurité, les machines ont été mises en marche avec de l’air comprimé et non de l’eau sous pression.
En règle générale, tous les instruments remis en fonction font l’objet d’une restauration aussi limitée que possible. Le but n’étant pas de faire fonctionner l’appareil de manière répétée mais seulement le temps des prises de vue d’un film.
Une restauration digne de ce nom se doit d’éviter autant que possible le rajout de pièces neuves qui pourraient dénaturer l’aspect ou la fonction originelle de l’instrument [6]. Parfois, les instruments sont tellement endommagés qu’il est impossible d’étudier leur fonctionnement sans remettre à neuf voire même de reconstruire certaines parties manquantes.
Il y a quelques années, le Musée a reçu en don deux limnimètres enregistreurs portatifs destinés à mesurer le niveau du lac, fabriqués par le physicien genevois Edouard Sarasin à la fin du XIXe siècle [7]. Le dispositif d’enregistrement, qui comprend une horloge commandant le déroulement d’un rouleau de papier sur lequel un crayon trace les variations de niveau du lac, était contenu dans une caisse en bois. Il manquait le flotteur ainsi que le système mécanique transmettant les mouvements verticaux du flotteur à l’enregistreur. Ces parties ont été entièrement refaites en se basant sur des plans et des gravures d’époque. L’instrument a été testé in vivo au bord du lac en étant relié à un flotteur disposé au fond d’un tube en plastique immergé dans l’eau [8].
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Bibliographie
[1] Laurence-Isaline Stahl Gretsch, « Des instruments anciens pour qui et pourquoi » In Marc J. RACLIFF, Laurence-Isaline STAHL-GRETSCH Mémoire d’instruments, Genève, Suzanne Hurter, 2011, pp. 232-239.
[2] Stéphane FISCHER. Révolution(s). Petite histoire de la mesure du ciel à travers quelques instruments d’astronomie du Musée d’histoire des sciences. Genève. 2006
Stéphane FISCHER . Sous le ciel du Mont-Blanc. Sur les traces d’Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), pionnier de la météorologie alpine. Genève. 2006.
Stéphane FISCHER . D’une vitrine à l’autre : il était une fois l’électricité. Genève. 2007
Stéphane FISCHER . L’heure au Soleil. Description et usage des principaux cadrans solaires exposés au Musée d’histoire des sciences. Genève. 2008
Stéphane FISCHER . Voir l’infiniment petit : des instruments du Musée retracent les grandes étapes de la microscopie. Genève. 2008
Stéphane FISCHER . Scruter le ciel : brève initiation à l’astronomie et présentation de quelques instruments du premier Observatoire de Genève. Genève. 2009
Stéphane FISCHER . Le cabinet Pictet : l’art d’enseigner la science par l’expérience. 2009
Stéphane FISCHER . Jean-Daniel Colladon, savant et industriel genevois. Genève. 2010
Du pied au mètre, du marc au kilo. Genève. 2010
[3] Planétaire. Laiton, bois, ivoire. 113 x 113 x 63cm. Georges Adams, Londres, 1775. MHS inv. 818
[4] Site internet du Muséum et Musée d’histoire des sciences : http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mhn/notre-recherche/collections/des-collections-accessibles/collection-dhistoire-des-sciences/
[5] Chaîne Youtube du Muséum et musée d’histoire des sciences : https://www.youtube.com/playlist?list=PLxh5ypZUsd7iottYqRt-YFFZCeKa0SB3Q
[6] Jacques LE BRETON, « La conservation et la restauration des instruments scientifiques des XVIIIème et XIXème siècle : un terrain de recherches et de valorisation en histoire des sciences », Bulletin de la Sabix,18, 1997.
[7] Limnimètres enregistreurs transportables. Bois, acier, laiton. Edouard Sarasin, Société d’instruments de physique de Genève, Genève, vers 1880. MHS inv. 2423
[8] Stéphane FISCHER, « Le limnimètre enregistreur transportable d’Edouard Sarasin », Archives des sciences 65, 2012, pp. 43-49.